UNE CONVERSATION AVEC CAMILLA GRYSKI: page 4
Sherman: Qu'est-ce qui vous a incité à écrire
votre premier livre de jeux de ficelle, et quand
cela a-t-il eu lieu?
Gryski: Eh bien, j'avais étudié sans interruption
les jeux de ficelle pendant deux ans, et un jour,
j'assistais à une réception en l'honneur de
Monica Hughes, à la Maison des garçons et des
Filles de Toronto. Cela devait se passer autour
de 1982. J'avais juste appris à faire mon 72ème
jeu de ficelle, l'Inuit "Petit Chien aux Grandes
Oreilles", du livre de Jenness, et était en train
de le montrer à un ami à une réception. Une
des observatrices était Ricky Englander,
co-propriétaire et directrice marketing de
Kid Can Press. Je la connaissais car elle avait été
à l'école des bibliothécaires (library school) quand
j'y étais, dans les années 70.
Deux semaines plus tard, Ricky m'a appelée et
m'a dit, "Pensez-vous pouvoir mettre ce truc
dans un livre? Qu'en pensez-vous?"
J'avais deux petits enfants, un emploi à
mi-temps, mais j'ai dit, "Vraiment, je peux le
faire." Et, je ne l'oublierai jamais, juste avant
de raccrocher, elle a dit "Au fait, pouvez-vous
écrire? Et donc, j'ai commencé le livre au
début de 82, je pense (je ne suis pas sûre quand),
et il est sorti à l'automne 83.
Sherman: C'était très rapide!
Gryski: Oui, c'était très rapide. En un sens,
j'avais pensé qu'un livre devrait être écrit
un jour. J'avais fait deux ou trois ateliers dans
des bibliothèques, pour des amis. Il y avait une
sorte de panique dans les yeux des enfants,
quand je quittais la séance, et qu'ils voyaient
toute la connaissance des jeux de ficelle
marchant vers la porte. Ils disaient, "Attendez!
Ne vous en allez pas! J'ai oublié
"l'Oeil qui cligne." Et il n'y avait rien que je
puisse leur donner. Je ne pouvais pas dire,
comme je le dis maintenant, "Pas de problème.
Il est dans le livre "rouge."
Eh donc, lorsque Ricky a dit, "Aimeriez-vous
faire un livre?" Cela me semblait juste.
Sherman: Traditionnellement, les jeux de ficelle
sont appris d'un instructeur vivant, pas d'un livre.
Quel a été le plus grand défi auquel vous avez
du faire face, en écrivant les instructions, pour
votre premier livre de jeux de ficelle?
Gryski: Le plus grand défi, lorsqu'on écrit les
instructions, est de les faire simples, claires et
logiques.
J'ai décidé assez tôt que les instructions devaient
être sans équivoque autant que possible, ou
les lecteurs finiront par dire, "Oh, mais je pensais
que cela voulait dire..."
Je savais, depuis le début, que je ne voulais pas
employer le langage anatomique, trouvé dans
dans beaucoup de revues anthropologiques -
vous savez, radial, ulnar et les termes comme ça.
Même décider de nommer les doigts était un
défi! Mais plus que tout, j'étais troublée par le
fait qu'historiquement, la plupart des auteurs
commençaient avec le verbe en premier -
tourner, prendre par en-bas, allez- puis
donnaient le doigt, "Aller avec votre petit
doigt." Une après-midi, j'ai eu une inspiration
lumineuse: je pouvais dire, "Votre petit doigt va."
Oui, c'est gauche et peut-être un peu guindé,
mais la plupart des enfants trouvent cela plus
facile à suivre. D'abord vous préparez votre
doigt puis vous regardez pour voir ce qu'il doit
faire. Cela a plus de sens que de regarder de
quelle action il s'agit, puis de trouver le doigt.
Pendant qu'ils trouvent le bon doigt, beaucoup
d'enfants oublient de quelle action il s'agit,
et doivent retourner et lire de nouveau.
Sherman: Qui a corrigé les épreuves?
Gryski: J'ai eu la chance d'avoir la même
sensationnelle correctrice pour les trois
livres - Susan Cravit. Elle avait un esprit très
logique. Elle disais, "Que voulez-vous dire par
derrière?" Et je disais, "Je tiens mes mains
comme ça. C'est le derrière." Et elle répondait,
"Bien, vous n'avez pas dit de tenir vos mains
comme ça." Elle était très bonne pour vérifier
si j'étais constante tout le long du livre.
Et pour le deuxième et le troisième livres, j'ai
aussi enrollé mes deux fils, Mark et Damian,
pour tester les instructions. Cela m'a aidée à
établir ce que je devais inclure et ce que je ne
devais pas, de quoi prévenir les lecteurs, et où
inclure des mots d'encouragement.
Sherman: Parlons des excellentes illustrations.
Même si le texte est bon, les enfants ont encore
besoin d'illustrations claires. Les illustrations
dans tous vos livres se composent de dessins
détaillés, aux lignes noires avec des flèches
rouges superposées, pour indiquer ce que les
doigts feront ensuite.
Comment avez-vous décidé cette présentation,
et qui a fait les dessins?
Gryski: J'ai passé beaucoup de temps à
étudier les trois livres, qui était encore sur le
marché, lorsque j'ai écrit mon premier livre, à
savoir ceux de Jayne, Kalter et le livre d'Elffers
et Schuyt, vous savez, celui avec des
photographies plutôt qu'avec des dessins. Mais
j'ai décidé, en les regardant, que nous devrions
faire des illustrations en noir et blanc, car les
photographies tendent à être ternes - Il est très
difficile d'obtenir de bonnes photographies
claires, dans un contexte éducatif. Nous avons
donc décidé d'engager un illustrateur
professionnel.
Sherman: Etait-ce ce Tom Sankey?
Gryski: Oui, Tom était génial. D'abord, nous
pensions que nous ferions des photographies
sur mes mains et que Tom dessinerait d'après
les photographies. Mon père et moi avons pris
des centaines de photos "par-dessus
l'épaule" de mes mains, pour que les
enfants puissent regarder l'illustration, pendant
qu'ils regardent leur propres mains, sans que
mon corps ne les gêne. Tom disait, "Ces
photos sont superbes, mais j'ai besoin d'avoir
la possibilité de marcher autour du jeu de
ficelle, pour pouvoir voir quel angle est le plus
facile à décrire." Donc, nous avons pris des
gants roses en caoutchouc, les avons rembourrés,
montés sur des blocs de bois, et drapés de
ficelles. Il les a surnommés "Mains" Solo, car
ils ressemblaient à Han (Yan) Solo sortant d'une
profonde congélation, dans la Guerres des Etoiles.
Cela l'a aidé. Finalement, il a appris à lire mes
instructions, qui lui ont encore fournies un
deuxième contrôle. Donc il travaillait avec les
photographies, en changeant les ficelles sur
les gants en caoutchouc, et en choisissant le
meilleur angle pour son dessin.
Avant que nous fassions le deuxième livre, je
lui ai juste donné le manuscrit. Sa contribution
au succès de mes livres ne peut être que
soulignée. Je lui ai toujours dit, "Ce n'est pas
mes mots, ce sont vos dessins qui ont fait
vendre les livres, car les gens regardent les
dessins et se disent, "Oui, je peux le faire."
En fait, c'était son idée d'inclure des flèches
dans les illustrations, et c'était remarquable.
C'était un cauchemar de contrôler chaque
ficelle, chaque flèche, chaque "sous" et
"au-dessus", mais les résultats le valaient
bien.
Sherman: Donc je suppose, que c'est la
raison pour laquelle vos livres sont si bons.
Un certain nombre de personnes ont participé
et ont vérifié, par recoupement, le travail de
chacun à chaque stade.
Gryski: Oui! C'était vraiment un travail
d'équipe!
Sherman: Comment avez-vous décidé quelles
figures inclure dans chaque livre?
Ont-elles été sélectionnées d'après le
niveau de difficulté, ou d'après ce que chaque
motif représente?
Gryski: Je pense que je cherchais un mélange.
Eh bien, d'abord elles sont soigneusement
classées dans chaque livre, et si vous commencez
du début, vous n'aurez rien de trop difficile
jusqu'à que vous soyez prêt. Je voulais aussi un
mélange de tours de ficelle, de motifs de filet, et
des choses qui bougent. Donc, j'ai cherché la
variété et des choses attractives pour des
enfants. A ce moment là, j'avais commencé,
bien que pas de manière formelle, à faire
des ateliers pour enfants, donc je savais le
genre de choses qu'ils aimaient vraiment, et
qu'ils pourraient comprendre à un âge donné.
Sherman: Dans votre troisième livre, vous
présentez une belle figure en forme de filet
des Iles Gilbert appelée "Quatre Etoiles des
Feuilles d'Itai et leur puit." N'avez-vous jamais
été tentée de modifier le nom d'un jeu de
ficelle traditionnel, pour accroître son charme?
Gryski: Non. J'ai appris que les enfants peuvent
adapter leur langage qui ne les leur ait pas
familier. Je pense que nous les sous-estimons.
Dès le début, j'avais décidé de rester très fidèle
aux racines anthropologiques de toutes les
figures. Remarquez que c'était dans le début
des années 80, quand nous n'étions pas
sensibilisés, comme nous le sommes maintenant,
aux questions d'appropriation et des choses de
cette nature. Il y a une richesse liée aux jeux de
ficelle, que vous perdez en niant la culture qui
les a créés. J'étais très déterminée à laisser les
enfants connaître la provenance des jeux de
ficelle, plutôt que de juste les prendre et de
changer leur nom, un nom qui aurait mieux
correspondu à notre contexte culturel. Vous
enlevez la magie quand vous les prenez juste
comme ça, ou lorsque vous n'incluez pas les
histoires. Je voulais aussi inclure des questions
comme " N'est-ce pas intéressant que la figure
soit connue aussi bien dans le Pacifique Sud,
l'Arctique, en Afrique et en Amérique du Sud?
Comment cela est-il arrivé? Les enseignants ont
à réagir à ces choses de façon constructive.
Nous avons des sociétés multiculturelles, et
mes livres sont, en fait, des livres multiculturaux.
Sherman: Maintenant, une question pratique.
Comment avez-vous eu les temps d'écrire en
élevant deux garçons, et en travaillant à
mi-temps en tant que bibliothécaire pour
enfants?
Gryski: Je me suis souvent posée la même
question. J'ai écrit le premier livre,
littéralement au milieu de la nuit. Mes enfants
avaient 4 et 7 ans lorsqu'il a été publié, donc
3 et 6 quand je l'écrivais. Je travaillais juste
tard, tard, tard, ceci est mon style. Je passais
juste des nuits blanches pendant une semaine.
J'étais éveillée toute la nuit juste avant une
présentation. C'est mon style. Vous avez douze
heures sans interruptions.
Sherman: Vos enfants étaient-ils intéressés par
ce que vous faisiez, lorsque vous écriviez vos
livres sur les jeux de ficelle?
Gryski: Oui, beaucoup. Et ils m'ont énormément
aidée. Mark avait 7 ans quand le premier livre
est sorti, et je savais qu'il pouvait faire tous les
jeux de ficelle du livre. Il n'était pas forcément
assez qualifié pour lire les instructions, mais je
savais que les doigts d'un enfant de 7 ans
pouvaient vraiment faire tous les jeux de ficelle
dans ce livre. Damian avait trois ans à ce
moment-là et j'ai du lui faire une ficelle qui soit
de la bonne longueur. A l'âge de 10 ans, tous les
deux ont appris à faire " Chien avec Grandes
Oreilles", donc il me semble que c'est l'âge dans
lequel leurs doigts peuvent tenir une figure Inuit
complexe. Je ne sais pas si Mark peut encore
la réaliser, mais je sais que Damian le peut.
Sherman: Parlons un peu de l'histoire de la
publication de chaque livre. Lequel des trois
livres a été le plus populaire, et combien de
copies ont été vendues?
Gryski: Le premier livre est, sans aucun doute,
le plus populaire.
Sherman: Quand le livre a-t-il été publié et
combien de copies ont été vendues?
Gryski: 1983. Pour la première édition, on a
imprimé 5000 copies qui se sont vendues en
six semaines.
Sherman: Six semaines?
Gryski: Oui, finalement, il été réimprimé 13
fois.
Sherman: Cela veut dire que vous avez vendu
plus de 65000 copies, n'est-ce pas?
Gryski: Oui, quelque chose comme ça.
Sherman: Maintenant, au début il était
seulement disponible au Canada, n'est-ce pas?
Gryski: Oui, ce qui est arrivé, c'est que quelqu'un
a exposé une copie de celui-ci à la rencontre de
la mi-hiver d'ALA l'Association des bibliothèques
d'Amérique, où quelqu'un de Morrow de New York
l'a vu. Ils ont immédiatement demandé le droit
de le publier aux Etats-Unis, et Kids Can Press a
acceptée. Kids Can Press était une très petite
compagnie alors. Le Berceau du Chat a été le
premier livre dont ils ont vendu les droits, surtout
les droits pour les Etats-Unis, donc ils ont toujours
été très aimables de reconnaître le fait que
Berceau du Chat était un livre très important
pour eux, car il leur a vraiment permis d'entrer
dans le marche international, vous savez.
C'était leur premier best-seller. Ricky Englander,
la co-propriétaire de Kids can Press, celle qui
s'est approchée de moi pour faire le livre, m'a
dit, "Nous étions si nouveau dans le monde de
la publication, alors. Quand tout a été vendu
après six semaines, nous ne savions pas quoi
faire. Puis quelqu'un nous a dit, "Réimprimez!"
Et nous avons dit, "Bien, on réimprime!"
Sherman: A quel moment Morrow a-t-il
sorti le livre? Etait-ce l'année suivante?
Gryski: Oui, la première édition de Morrow
était datée 1984. Et finalement, ils ont aussi
publié les deux autres livres.
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