UNE CONVERSATION AVEC CAMILLA GRYSKI: page 6
LA "LADY FICELLE" DU CANADA
par
MARK SHERMAN
Pasadena, Californie
Voir aussi ici: Conseils contre le trac (Bisfa 12)
Sherman: Parlons de vos longs voyages. Juste
après que votre premier livre est sorti, vous avez
commencé à faire des tours promotionnels, vous
avez visité des écoles et des bibliothèques et
animé des ateliers. Comment cela s'est-il passé?
Faisiez-vous souvent des tours, et quel groupe
d'âge cibliez-vous?
Gryski: D'habitude, je faisais deux ou trois tours
en été et deux en automne. Les enfants en CM1
(grade 4) jusqu'en 6ème (grade 6) constituaient
mon audience normale en atelier. Cela veut dire
que la plupart des enfants avaient entre 10 et
12 ans. J'ai travaillé avec des enfants de ce2
(grade 3), mais seulement dans la deuxième
moitié de l'année scolaire. Au début de l'année,
ils sont juste un peu trop jeunes, ils s'énervent,
lorsqu'ils ne réussissent pas. Les enfants doivent
avoir des doigts habiles et ils doivent garder les
doigts d'une main "hauts", lorsqu'ils sont en
train de travailler avec l'autre main.
Le problème avec les petits enfants, c'est
que pendant qu'ils regardent une main, toutes
les ficelles tombent de l'autre. Les enfants de ce1
(grade 2) pleurent quand ils ne réussissent pas.
Les plus jeunes de ce2 (grade 3) s'énervent aussi,
mais seulement lorsqu'ils sont en groupe.
Lorsque je travaille en tête-à-tête, je peux
enseigner plus facilement un enfant de ce1 (grade1),
quelques figures faciles.
Sherman: A combien d'enfants enseigniez-vous
normalement à la fois, et que leur enseigniez-vous?
Gryski: Je travaillais d'habitude avec 60 enfants
à la fois. Mes séances se composaient d'une heure
et demi de démonstration et de d'activité narrative
(storytelling) et de réponses aux questions sur les
figures que les enfants aimaient le plus, et alors
qu'ils me posaient des questions, je tissais d'autres
figures, ou d'autres histoires. Ceci était suivi par
une heure et demi de leçon de "passe".
J'enseignais une figure que nous faisions ensemble
deux ou trois fois, puis de petits groupes se
formaient, et tout le monde aidait tout le
monde. Puis je leur enseignais une autre figure.
J'enseignais d'habitude "le Harpon" d'abord,
puis "la Mouche" ou "l'Oeil qui Cligne".
C'est très gratifiant de voir les enfants se
rendre compte, qu'ils peuvent réaliser des jeux
de ficelle. Bien sûr, quelques figures sont dures et
d'autres sont longues, mais beaucoup sont
vraiment faciles et rapides à apprendre. Bien que
j'ai enseigné une figure une centaine de fois
auparavant, pour les enfants c'est tout nouveau.
Vous le voyez dans leurs yeux, et ils disent
"Oooohhhh!"
Sherman: Vous êtes-vous déjà heurtée à des
enfants qui étaient peu disposés à participer?
Gryski: Oui, en particulier les garçons. J'aime
travailler avec les garçons, car j'ai deux garçons.
Je connais la sorte de lutte que certains enfants,
surtout les garçons, ont dans le système scolaire.
Lorsque mon groupe entrait, je voyait souvent
une rangée de garçons au fond, car c'est là-bas
qu'ils se tenaient toujours, et je me disais à moi-
même,"Mec, je sais comment d'atteindre." Je
commençais à parler de chasse et de harpons, et
soudain, la ficelle devenait une sorte de chose
acceptable pour eux à faire, et ils voulaient
ardemment le faire. Quand les enfants se
mettaient en file ensuite, tous les garçons
étaient là aussi, pour les autographes.
J'aimais cela, car je leur avais donnés la
permission d'être créatifs, d'une manière à
laquelle ils n'avaient pas pensé auparavant.
boucle à vos ateliers, ou les achetiez-vous?
Gryski: Oui, je les faisais. De cette façon,
je pouvais être sûre qu'elles étaient de la bonne
longueur et qu'elles ne s'emmêleraient pas et se
noueraient facilement. J'employais de la corde
macramé. Car, il y a une fibre dans la corde
elle-même, elle se comporte vraiment bien
lorsque les enfants réalisent des figures avec.
Je ne peux même pas compter le nombre de
ficelles en boucle que j'ai distribuées.
Lorsque je faisais un tour qui durait sept jours,
je prenais 1500 ficelles avec moi. Mon fils
Mark recevait deux cents, pour chaque ficelle
qu'il coupait pour moi. Lorsqu'il se sentait
pauvre, il me demandait s'il pouvait me couper
d'autres ficelles.
Sherman: N'avez-vous jamais travaillé avec
des enfants plus âgés?
Gryski: Les enfants en CM1-6ème (grades 4-6),
ont l'âge parfait pour apprendre les jeux de
ficelle, car ils ont à la fois la dextérité manuelle
et l'intérêt. Mais j'ai aussi travaillé avec des
enfants de 5ème -4ème (grades 7-8), de jeunes
adolescents. Une fois qu'ils ont compris que
c'est bien de faire des jeux de ficelle, cela
devient vraiment gratifiant, car je peux leur
enseigner quelque chose d'assez difficile.
Sherman: N'avez-vous jamais appris de
nouveaux jeux de ficelle des enfants qui
assistaient aux ateliers?
Gryski: Oui, bien sûr. J'ai appris une
charmante petite tortue d'un garçon indien
Tlingit dans le Yukon, et un joli crabe d'une
fille japano-canadienne de Nanaimo, Ile
de Vancouver. Et on m'a déjà dit des noms
différents pour les jeux de ficelle que je
connaissais déjà. Lorsqu'une fois j'ai montré
"Filet de pêche", une fille m'a dit qu'elle
l'avait appris de sa mère sous le nom de
"Bandeau de Blanche-Neige".
Sherman: Est-ce que les enfants connaissaient
vos livres avant que vous ne veniez?
Gryski: Oh oui, en particulier lorsque le second
et le troisième ont été publiés. Au début des
années 90, j'ai eu une expérience amusante. Mon
premier livre, qui est sorti en 1983, avait une
grande photo de moi au dos. Je me souviens
de cet enfant me regardant, regardant,
regardant. Enfin, il a dit "Je m'attendais à
trouver Camilla Gryski plus jeune." Et j'ai dit,
"Eh bien j'étais plus jeune lorsque la photo a
été prise!"
Sherman: C'est amusant! Savaient-ils déjà faire
toutes les figures de vos livres?
Gryski: Quelques fois. Je racontais ma petite
histoire sur "Allons marcher", et faisait tous
ces jeux de ficelle, juste pour initier les enfants,
et alors j'ai vu une enfant dans le coin faire très
vite "Beaucoup d'Etoiles" ou d'autres figures
complexes. C'est vraiment très touchant de
croiser un enfant pour qui les jeux de ficelle
ont signifié un énorme valeur, un enfant qui a
été tiré dans le monde des jeux de ficelle et
a stimulé son amour propre. Donc, lorsque
je rencontrais un enfant comme cela, je restais
et faisais un grand effort pour lui apprendre
quelque chose en plus, peut-être pas le "chien",
mais quelque chose de différent, quelque chose de
nouveau, quelque chose qu'il ne connaissait pas
d'avant, pour qu'il puisse le prendre avec lui.
J'avais l'habitude de lui dire:
"Ce n'est dans aucun de mes livres; apprends
celui-ci!"
Sherman: Combien d'ateliers faisiez vous
d'habitude en un jour?
Gryski: Je faisais la plupart du temps, trois
séances par jour, en particulier lorsque je
faisais des tours. Je n'en faisais pas quatre car
je n'avais pas l'énergie et puis, vous commencez
à oublier, vous savez. Vous discutez avec
tellement de gens différents, que vous
commencez à demander "Est-ce que je vous ai
déjà raconté cela?" Mais l'excitation dans le
travail, avec tous ces enfants, était très
stimulante! Il y avait tous ces enfants demandant,
"Est-ce correct?", vous savez, tous ces enfants
avec des ficelles exigeaient votre attention,
quelques fois 180 ou 200 enfants, tous avec des
ficelles. Quelques fois les enseignants ne
pouvaient pas retenir toute cette énergie. Je
me souviens une fois, lorsque j'avais juste achevé
un atelier à l'école, et j'allais vers l'entrée, vous
savez , sortant sur la pointe des pieds, j'ai
entendu un enseignant éreinté crier, "Enlevez
ces ficelles d'ici!"
Sherman: Terrible! Trois ateliers par jour, cela
semble exténuant, en particulier lorsque les
enfants ne sont pas bien disciplinées.
Gryski: Oui, eh bien, je n'ai jamais eu ce
problème.
Sherman: Vous voulez dire, car vous avez été
bibliothécaire pour enfants pendant de si
nombreuses années?
Gryski: Oui, et grâce au fait que j'ai deux enfants,
deux garçons. Il n'existe pas de meilleur
entraînement.
Sherman: N'avait-vous jamais reçu des émails
de fans, après vos visites?
Gryski: Bien sûr! J'en ai plein des albums! Mon
éditeur avait l'habitude de m'envoyer des choses
avec de petites notes jointes, qui disaient:
"S'il vous plaît, répondez à toutes ces questions,
et envoyez-les moi de retour par poste
électronique.
Sherman: Qu'écrivez les enfants dans leurs
lettres?
Gryski: Toute sortes de chose: "J'ai tous vos
livres, et s'il vous plaît, envoyez moi n'importe
lequel de vos livres que vous avez." Un garçon
du Maryland a écrit, "Vous êtes si bonne, vous
devriez être dans un cirque."
Sherman: Comment les enseignants
réagissaient-ils à vos séances d'ateliers?
Gryski: Quelques uns étaient un peu nerveux
au début. Après avoir fait ma présentation
avec une activité narrative (storytelling),
j'enseignais une figure et je laissais juste les
enfants s'entraider. La seule manière d'enseigner
les jeux de ficelle à 75 enfants est qu'ils se
l'enseignent l'un l'autre, n'est-ce pas? Donc je
les laissais en quelque sorte se débrouiller, et
le enseignants paniquaient totalement; ils
pensaient que je ne reprendrais jamais le
contrôle d'eux. Mais ils étaient très bien.
Quelques enseignants appréciaient, en particulier,
l'attention que je prêtais à certains élèves.
De temps à autre, je voyais un enfant qui se
débrouillait très bien avec la ficelle, mais à part
cela était timide, donc je faisais grand cas d'eux.
Plus tard, l'enseignant venez me voir et me
disait, " Vous savez, c'était une vraiment belle
manière de distinguer cet enfant là,
car cet enfant là est un nouveau immigrant." Ou,
"Cet enfant avait beaucoup de problèmes
familiaux." Ou, "Je ne savais pas comment
prendre cet enfant; maintenant, je sais. Vous
m'avez donné une manière de travailler avec
cet enfant." Donc c'était merveilleux d'enseigner
des enfants, mais c'était encore plus merveilleux
de les sortir du rang, pour les laisser partager
les talents qu'ils ne savaient pas si importants.
Toronto est remplie d'enfants qui viennent de
cultures qui ont des jeux de ficelle qui font
partie de leur tradition, des enfants des Caraïbes,
des enfants d'Amérique du Sud, des enfants du
Vietnam. Ils ne savent pas qu'ils ont quelque
chose de spécial. J'ai travaillé avec beaucoup
d'enfants indigènes aussi, dans les plaines du
centre du Canada, et bien sûr en Arctique.
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