Evolution du répertoire du jeu de ficelle de l'Ile de Pâques
- Par isfa
- Le 21/04/2013
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par Mark A. Sherman
Introduction
L'Ile de Pâques (Isla de Pascua (en espagnol),
Rapa Nui (en langue rapa "la Grande rapa"), pays de
statues monumentales (les moais), les plaquettes de bois
gravées (rongongo), et les terrasses empierrées (les ahus),
est souvent mentionnée en tant que l'endroit le plus
isolé sur terre, étant à plus de 2250 km (1400 miles)
du pays habité le plus proche (Ile Pitcairn). La plupart
des autorités sont maintenant convaincues que
l'Ile de Pâques était à l'origine colonisée par les
Polynésiens (probablement des Marquisiens) autour
de 400 A.C.(Bellwood, 1989; Bahn & Fienley 1992;
Conniff 1993), bien qu'une minorité bruyante conduite
par Thor Heyerdahl "of Kon-tiki fame" continue de
soutenir que l'Ile de Pâques a d'abord été colonisée
par des Sud-Américains de culture pré-inca, et plus
tard par des Polynésiens (Heyerdahl, 1955, 1989) Mais
indépendamment de leur origine ultime, il est assez clair
que les iliens de Pâques sont restés bien isolées de leurs
voisins pendant une grande partie de l'ère préhistorique,
une condition qu'on croit aujourd'hui directement
responsable de la culture si unique, que les Européens
ont d'abord trouvé en 1722 (Bahn & Flencey 1992:54, 61,
64, 74, 79, 81). Compte tenu de ces condition, une étude
du répertoire du jeu de ficelle de l'ile devrait
probablement nous éclairer sur la manière dont les
jeux de ficelle évoluent dans un milieu culturel isolé.
Est-ce que l'isolation encourage l'invention de formes
nouvelles et inusuelles, comme il l'a fait pour les statues?
Dans cet article, je présente d'abord une analyse détaillée des
mouvements employés dans la réalisation de ce qu'on appelle,
le répertoire local des jeux de ficelle "traditionnels" de l'Ile de
Pâques, et je montre alors comment plus tard ces techniques ont
été incorporées dans le motif de nouvelles figures.
Je vais aussi étudier les évènements historiques qui ont pu
amener l'introduction récente de figures "étrangères" dans le
répertoire, et je conclus en présentant un "arbre généalogique"
qui illustre comment le répertoire a pu évoluer à partir de
simples figures.
LES JEUX DE FICELLE DE L'ILE DE PÂQUES
LES DOCUMENTS-SOURCE
Au moins quatre chercheurs ont recueilli des jeux de ficelle
sur l'Ile de Pâques; l'ethnologue français Alfred Métraux;
le professeur chilien Lorenzo Baeza; l'ethnomusicologue
Ramon Campbell, aussi du Chili; et l'ethnologue Olaf Blixen,
de l'Uruguay.
Métraux, un membre de l'expédition franco-belge de 1934
a été la première autorité professionnelle à entreprendre un
travail ethnographique sur l'Ile. Ses constatations ont été
publiées plus tard par le Musée Bishop, Honolulu, (Ethnologie
of Easter Island, Bulletin 160 (1940). D'après Métraux,
seulement trente figures étaient connues au moment de sa
visite (Métraux 1940:354), certaines d'entre elles avaient été
récemment introduite de Tahiti, d'après les iliens. La seule
femme qui les connaissait toutes se nommait Amelia Tepano,
fille de son principal informateur, Juan Tepano. Amelia
affirmait qu'elle les avait apprises de son père, lorsqu'elle
était petite. Cependant, lorsqu'elle fut questionné de nouveau
en 1971 par Blixen, Lady Amelia confia que sa grand-mère
paternelle, Veri Amo, avait été en fait son professeur
(Blixen 1979:2). Veri Amo était la femme la plus vieille
sur l'ile lorsque Métraux la visitait, elle avait à peu près
90 ans. D'après les informateurs de Métraux, les jeux de
ficelle étaient employés dans les temps anciens, pour
faciliter la mémorisation des chants et des histoires. Il
était important pour les enfants de maitriser ces talents,
avant d'être instruits dans les connaissances traditionnelles
de la tribu, et l'art de sculpter des tablettes de bois. Métraux
avait espérer publier séparément les 28 jeux de ficelle
"originaux" qu'il avait recueillis d'Amelia (note p354),
accompagnés de leurs chants correspondants.
Malheureusement, cela ne s'est pas produit, et le sort
ultime des notes de Métraux restent inconnu.
Presque vingt ans plus après la visite de Métraux, Senor
Lorenzo Baeza, un enseignant résident sur l'ile pendant
trois années, assembla une grande collection de jeux de
ficelle. La collection (cousue sur des fiches) inclut les
titres, les chants et les méthodes de construction de
chaque figure (Barthel 1960:842; 1961:30; Campbell
1971:417). Fâcheusement, Senor Baeza est mort de
manière tragique l'été 1956, alors qu'il tentait de
secourir des enfants qui se noyaient (Heyerdahl 1955:
116-121; Campbell 1971:367). Le manuscrit de Baeza,
daté de 1955 a été conservé par sa femme, Adriana
Marinez, qui est retournée au Chili après
l'évènement tragique.
Depuis lors, plusieurs autorités ont publié le manuscrit
et publié leurs observations. Dans sa monographie
intitulée Spiele der Osterinsulaner (Jeux de l'Ile de Pâques),
L'ethnographe allemand Thomas S; Barthel, publia une
liste de titres de jeux de ficelle, les groupant en trois
grandes catégories (figures sans chants, figures avec chants
obscènes, et figures avec chants traditionnels)1. Il a aussi
fourni le nombre assigné à chaque figure par Baeza, et a
indiqué si la figure est d'origine tahitienne. On peut noter
que seuls quarante-quatre titres sont listés, même si les
nombres vont d'un à cinquante-huit².
Plusieurs années plus tard, la collection de Baeza a été
de nouveau consultée, cette fois par Ramon Campbell,
un chilien qui avait été un physicien de l'ile pendant
deux ans (1965-66). Pendant son séjour sur l'ile,
Campbell, qui était aussi un musicologue qualifié,
réussi à achever une étude exhaustive de la musique
traditionnelle de l'Ile, une étude qu'il a publiée plus
tard en tant que La Herencia Musical de Rapanui
(La Musique Traditionnelle de l'Ile de Pâques, 1971).
Etrangement, Campbell a dédié une chapitre entier
de son livre (pp.413-441) à la collection du jeu de ficelle
de Baeza. Bien que Campbell ait été tout d'abord
intéressé par les chants musicaux (kai-kai, patautau)
qui accompagnent les figures, il fournira néanmoins les
photographies de quatre-vingt une figures montées.
Elles sont reproduites sur les pages suivantes (Fig.1).
Malheureusement, on ne peut être sur que toutes les
quatre-vingt une figures aient été vraiment recueillies
par Baeza, en dépit du fait que chacune porte une
désignation NOB (numero orden Baeza)³. A la page.
447, Campbell affirme qu'il a aussi recueilli des jeux de
ficelle et des chants, alors qu'il séjournait sur l'Ile
(à peu près vingt-cinq), surtout d'Eroria et de Salome
Pakarati (les belle-sœurs d'Amelia Tepano), et que
ces dernières avaient été "ajoutées à la collection de
{Baeza}." Il est aussi regrettable n'ait pas publié ses
(ou celles de Baeza) méthodes de construction4.
Néanmoins, le chapitre de Campbell est inestimable et
reste le traitement le plus complet sûr ce sujet à ce jour.
Avec la publication en 1979 de l'étude de Blixen intitulée
Figuras de Hilo Tradicionales de la Isla de Pascua (Jeux
de Ficelle traditionnels de l'Ile de Pâques), les méthodes de
construction sont devenues enfin disponibles. Blixen a
recueilli ses données en trois occasions séparées, d'abord
en 1971, il consacra son temps à photographier les figures
et a recueillir des chants, puis de nouveau en 1973 et en
1978, pour vérifier les chants et recueillir des méthodes de
construction (Blixen 1979:2, 5). Ironiquement, sa principale
informatrice n'était autre qu'Amelia Tepano, la première
informatrice de Métraux en 19345.
Blixen est parvenu à obtenir les méthodes de construction
de vingt-deux figures qu'on dit 'traditionnelles", celles-ci
étant les figures accompagnées de chants archaïques. Ces
figures, affirme-t-il, constituent la majeure partie des
vingt-huit figures recueillies par Métraux, quarante ans
plus tôt (Blixen 1979:6-10, 15). Mais qu'en est-il des
cinquante-neuf figures restantes de la collection de
Campbell?
Pendant sa seconde visite en 1973, Blixen montra à
Amelia et à ses collègues les quatre-vingt une figures
du livre de Campbell. En plus des vingt-deux figures
traditionnelles recueillies par Blixen6, seize ont été
identifiées comme étant des introductions récentes de
Haïti7. D'après Blixen, les figures restantes doivent
être donc, pare conséquent, des inventions récentes,
plutôt que des figures traditionnelles car
1) Elles ne sont pas typiquement accompagnées de chants;
2) Elles ne représentent habituellement rien d'autre que
les caractéristiques géographiques de l'Ile;
3) Amelia Tepano et ses confrères déclarent qu'elles
ne sont pas traditionnelles.
Il est important de noter, cependant, que cela ne
prouve pas que les figures sont d'origine récente.
D'après les traditions orales transcrites au début du
20ème siècle, les jeux de ficelle étaient traditionnellement
employés en tant que dispositifs mnémoniques pour
garder en mémoire les noms d'endroits (Barthel 1978:
75, 303). De plus, la population de l'Ile était autrefois
divisée en plusieurs clans compétitifs (Bahn & Flenley 1992:
185), chacun d'entre eux peut avoir maintenu son
propre unique répertoire. Campbell suggère même que
les figures appelées "géographiques" pourraient être le
produit d'une "école ou "guilde" du jeu de ficelle ancien
autrefois centralisé à Hangaroa (Campbell 1971:418,440).
Par conséquent, on ne peut pas immédiatement écarter
les figures géographiques en tant que des inventions
modernes.
Mais même si les figures ont une origine récente, leurs
méthodes de construction ont encore une grand intérêt,
d'un point de vue évolutionnel. En fait, l'age réel des
figures est immatériel: peu importe si elles sont
authentiques, c'est à dire, inventes par les Iliens de
l'Ile de Pâques et non introduites. Une récente analyse
du répertoire du jeu de ficelle indien kwakiutl montre
que les nouvelles figures voient jour à travers la variation
d'une figures existante (Averkieva & Sherman, 1992:
155-160): rares sont les jeux de ficelle inventés de
novo. Par conséquent, il devrait être possible de
reconstruire les figures 'non-traditionnelles" de Campbell,
en employant les techniques trouvées dans les précédentes
figures identifiées "traditionnelles" (ou même tahitiennes)
du répertoire, si les figures sont vraiment authentiques.
C'est ce que je ferai dans la section suivante.
Mark Sherman Bulletins ISFA anciens No. 19 (1993) en cours de traduction
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