UNE CONVERSATION AVEC CAMILLA GRYSKI: page 11
LA "LADY FICELLE" DU CANADA
par
MARK SHERMAN
Pasadena, Californie
Sherman: Donc c'est tout pour vos livres.
Parlons un peu de vos activités les plus
récentes. Il y a plusieurs années, vous avez
décidé de quitter votre emploi, de
bibliothécaire pour enfants, et de devenir un
clown thérapeutique. Racontez moi comment
cela s'est-il passé.
Gryski: J'aimais mon travail de bibliothécaire
pour enfants à l'Hôpital pour Enfants Malades.
Il cadrait très bien avec l'écriture, car c'était un
travail à mi-temps, et ils étaient toujours très
gentils et d'un grand secours, lorsque je disais,
"Oh, je dois faire une tournée de promotion
pour des livres." Il savaient que c'était bien. Ils
savaient que je faisais ma part pour les livres
pour enfants canadiens. Mais il est venu alors le
temps de changer. Je voulais vraiment rester à
Sicks Kids, mais il y a eu quelques changements
à la bibliothèque, et, après 17 ans, c'était enfin
le moment de partir de là-bas, de cet emploi.
Donc un jour, j'ai vu un clown dans les services,
jouant avec les enfants, et je me suis dit, "Oh,
je me demande si je pourrai être un clown. Et,
bien sûr, j'avais un fils, Damian, qui allait à
l'école du cirque. J'ai appris à jongler juste en
l'amenant au club de jonglage. En outre, j'ai
aiguisé mes talents d'interprétation à travers
des années et des années et des années de
narration (storytelling) avec une ficelle. Donc
tout se tenait. J'ai appris à être un clown.
Maintenant, je suis un clown pour le programme
hématologie-oncologie. Mais étant donné que
la thérapeutique de clown est un assez nouveau
domaine, j'ai décidé que j'avais besoin de
retourner à l'école pour être un meilleur clown.
Sérieusement! J'ai trouvé ce merveilleux
programme de l'Université de Toronto. Je suis
dans une institution nommée Ontario Institut for
Studies in Education, qui est en fait, une partie
de la Faculté de l'éducation à l'Université de
Toronto, et je suis un programme Master, un
programme M.Ed, et c'est dans l'holistique et
l'éducation esthétique. C'est parfait! Je vais
étudier le jeu et la théorie du jeu. J'ai toujours
voulu en savoir plus sur le jeu, et je voulais en
savoir plus sur l'humour, la créativité et le
bien-être, et la spiritualité, comment tout cela
s'accorde. Le travail est assez intense, en
particulier avec les enfants malades.
Sherman: Cela semble idéal!
Gryski: C'est idéal! En ce moment, je fais les
cours 5 et 6, donc j'en suis presqu'au trois-quart
du chemin.
Sherman: Donc vous prévoyez encore une
année?
Gryski: Oui, je fais deux cours maintenant, ce
qui est trop lourd car trois c'est le plein temps.
Malheureusement, les travaux de troisième
année n'ont pas de limite, vous avancez jusqu'à
que vous devez présenter ou écrire un exposé.
Mais, il n'y a pas vraiment de fin au travail,
vous pouvez continuer à l'infini. Donc, je ferai
un cours en automne, et un cours au printemps,
et j'aurai un exposé important à écrire et ce
sera fini.
Sherman: Vous avez publié tous vos livres,
avant d'étudier pour votre doctorat, vous avez
tout fait à l'envers!
Gryski: Eh bien, en fait c'est mon deuxième
doctorat. Mon premier est en science des
bibliothèques. Les gens, des fois, me demandent,
" Est-ce que vous les collectionnez?" Eh bien,
non, j'ai juste besoin d'en savoir plus?
Sherman: Donc, avez-vous arrêté vos ateliers
du jeu de ficelle?
Gryski: Plus ou moins, mais je fais encore des
conférences publiques. En février, j'ai pris part
à la conférence de l'Association Américaine pour
l'Humour Thérapeutique à San Diego.
Sherman: En tant que bibliothécaire travaillant
avec des enfants malades chaque jour, vous
avez souffert sans aucun doute de dépression
quelques fois. Comment vous en sortez-vous?
Gryski: Comment je m'en sors! C'est continu,
vous savez, mais maintenant je suis un clown
plus qu'une bibliothécaire. lorsque j'ai d'abord
commencé là-bas dans mes vingt dernières
années, je me suis dit à moi-même, "Tu sais que
tu veux travailler avec ces enfants, tu as choisi
de travailler avec ces enfants. La perturbation
va avec le secteur." Mais en tant que
bibliothécaire, je ne savais pas forcément
beaucoup sur les enfants. Je savais de quelle
manière ils étaient arrivés à l'hôpital, et de quelle
maladie ils souffraient, comme le diabète ou le
cancer. Et bien sûr, il y avait d'autres choses
qui n'allaient pas, comme tomber d'un arbre.
Ce n'était pas une lutte contre la mort, vous
savez, et donc un enfant est plus ou moins
malade. Heureusement, j'ai l'occasion de
travailler avec aussi beaucoup d'enfants sains,
et donc il y a toujours eu un équilibre dans
ma vie. Mais lorsque j'ai commencé à travailler
en tant que clown, j'ai commencé à avoir des
problèmes, de nouveau. C'est en partie parce
que j'entre dans mon personnage de clown -
Posy est mon nom de clown - lorsque j'entre
dans Posy, je suis vulnérable. Posy "marche"
avec les enfants grâce à sa propre vulnérabilité,
vous comprenez? Ils sentent sa propre
vulnérabilité, et c'est pourquoi ils communiquent
si fortement avec elle. Mais, finalement, j'ai
appris à surmonter ces sentiments. Je suis plus
adulte maintenant, je suis dans la phase mature
de la vie. Donc je peux vivre avec, et je pense
que c'est vraiment le travail, que je suis supposée
faire. Et donc, je sens que c'est l'endroit où je
suis supposée être, et où je dois faire ce que je
suis supposée faire.
Sherman: C'est intense.
Gryski: Je me suis toujours dit à moi-même,
"Oui ces enfants sont malades, Mais je ne peux
rien y faire, c'est ainsi. "Et donc, mon travail est
de demander ce que je peux faire, et comment
le faire du mieux possible. Posy est, tout compte
fait, une personne sûre, nous créons un espace
sûr lorsque nous jouons ensemble. J'essaie de ne
pas être celle qui distrait les enfants, lorsqu'on
soigne les enfants. J'aide s'il m'arrive d'être
dans la chambre lorsque quelqu'un entre, mais
j'essaie de ne pas être trop impliquée en aidant
l'équipe médicale, car alors le jeu est troublé.
L'espace que je crée avec l'enfant est un espace
sûr, et, si tout à coup, des gens s'imposent dans
cet espace, ou que je laisse entrer d'autres
personnes dans mon espace, c'est dur pour
l'enfant. Ils ont besoin d'une séparation. Le
temps de Posy est juste le temps de Posy. Et
maintenant, je suis arrivée au stade où les
docteurs sortiront de la pièce. Ils diront,
"Oh Posy, oh, je reviendrai."
Sherman: A travers votre travail, vous devez
avoir développée une très grande capacité à
"lire" un enfant, je veux dire, il doit y avoir
des fois où ils ne se sentent pas bien, et ne
veulent pas être avec une autre personne,
même un clown. Donc il doit y avoir beaucoup
de concessions mutuelles dans vos rencontres
quotidiennes avec eux.
Gryski: Il y a une immense quantité de
concessions mutuelles! Le travail est très
intuitif. Vous ne savez vraiment pas lorsque
vous tapez à une porte, comment l'enfant
va réagir. J'ai un briefing quotidien avec
l'équipe, je sais si quelque chose s'est passé,
s'il y a eu des difficultés. Car je fais partie de
l'équipe. Je suis traitée comme un membre
de l'équipe. Je ne regarde pas leurs feuilles de
température, mais j'ai la liste de leurs
diagnostiques, et donc je suis certainement
informée. Et je suis informée s'il y a une
situation familiale complexe, avec qui je peux
composer lorsque j'entre dans la chambre.
Donc je sais s'il y a une friction, si la famille
arrive à faire face (coping) ou non. Il est
important pour moi de savoir ces choses.
C'est un travail très intuitif. Je suis très attentive
lorsque j'entre. D'abord, je demande la
permission, avant même d'entrer dans la
chambre. Donc un enfant peut juste dire,
"vas t'en" et je le fais. Je m'en vais.
Sherman: Donc, vous ne le prenez pas
personnellement?
Gryski: Non, je dis, "ça va, je m'en vais."
En fait, nous avons reçu un nouveau cas, une
adolescente qui a une situation familiale très
complexe. Elle a un jeune travailleur avec elle
tout le temps, et les gens disaient, "Je ne sais
pas si on sera capable de communiquer avec
elle." Et donc, le premier jour elle a juste dit,
"Je ne veux pas de clown aujourd'hui, vas t'en."
Je dit, "Ca va." Et alors je dis, veux-tu un
autocollant? Si tu ne veux pas un autocollant,
ça ne fait rien." Et je suis partie. Je suis revenue
quelques jours plus tard, et me suis glissée dans
la chambre, je l'ai poussée un petit peu, vous
comprenez, je me suis juste glissée dans la
chambre. Je pensais, "Une fois à l'intérieur,
si elle veut me jeter dehors, je partirai." et donc
j'ai jonglé pour elle et elle était merveilleuse!
J'ai ces balles de jonglage très souples koosh,
que nous nous jetions l'un à l'autre, et donc le
jeune travailleur et moi et cette fille les lancions
les uns aux autres, ce qui est très thérapeutique,
n'est-ce pas? Nous jetions ces balles de jonglage
et puis, je lui ai offert des autocollants. J'avais
des autocollants-oiseaux, et elle les a regardés et
a dit, "Je prendrai la colombe pour l'espoir."
Donc, vous voyez, la manière par laquelle elle
m'a laissée entrer, est intéressante. Elle est
devenue vulnérable comme moi. Et donc, je
considère cela comme un privilège.
Sherman: Oh oui, c'est un privilège.
Gryski: J'ai même été dans des chambres où
des enfants étaient en train de mourir, et
l'atmosphère de la chambre était poignante
au delà de l'imagination. Je ne peux imaginer...
Je ne peux imaginer ce que ce serait de perdre
un enfant, je veux dire, c'est au delà de
l'imagination, penser que quelqu'un ait du
surmonter cela. Mais ce qu'il y a dans la
chambre est incroyablement poignant. Vous
êtes accueillie dans l'espace, car l'enfant vous
aime, et donc vous fait entrer en quelque sorte
dans l'espace, et vous faîte ce que vous pouvez.
Souvent, j'implique les parents, comme si je
peignais de petits tatouages sur les mains des
enfants, j'implique les parents, aussi, et souvent
ils disent à l'enfant, "Qu'en penses-tu, mon
amour? Qu'elle couleur va bien d'après toi..."
et ainsi de suite. Et donc vous avez créé du
bon temps; c'est un souvenir marquant pour
la famille. La semaine dernière, l'équipe m'a dit
que les deux enfants que je connaissais, étaient
décédés. Avec l'un d'entre eux, j'avais travaillé
deux semaines juste avant; j'avais joué
avec elle.
Et donc, je sortais du service habillée en clown,
lorsque j'ai vu cette maman venant vers moi, et
j'ai compris que c'était la mère de la fille. Elle
m'a arrêté et a dit, "Saviez-vous que cette
fille, ma fille est décédée?" On me l'avait dit ce
matin, et donc j'ai eu de la chance que cela
n'ai pas été un choc complet. Mais elle m'a
donnée ces trois photographies de sa fille jouant
avec moi. Elle m'étais si reconnaissante d'avoir
fait rire sa fille.
Sherman: Employez-vous souvent la ficelle
pour communiquer avec les enfants?
Gryski: Je l'emploie assez. Probablement pas
chaque jour, mais chaque semaine les ficelles
sortent.
Sherman: N'avez-vous jamais rencontré des
enfants qui étaient trop malades, pour
apprendre un jeu de ficelle? Que faîtes-vous
dans ce cas, vous jouez seulement?
Gryski: Et bien, je décide de ce que je vais
faire. J'ai une batterie de choses que je peux
faire pour les enfants. J'ai deux petites valises
en plastique, qui sont pleine de choses comme
du liquide à bulles de savon, des jouets à
remonter, un tonneau de singes. Tous doivent
être lavables car nous devons penser au
contrôle de l'infection, mais j'ai toujours des
ficelles avec moi. Je joue souvent aux ficelles
avec les adolescents, et étant donné qu'il se
peut que je ne les verrai qu'une fois, je leur
laisse toujours la ficelle. Et lorsque j'enseigne,
j'enseigne en fait, le "Balai". J'enseigne
"l'Oeil qui cligne". Et puis je fais de la magie.
Je peux faire deux ou trois magies. Je dois
juger s'il est possible de laisser une ficelle. Une
ficelle en boucle, est une chose potentiellement
dangereuse à laisser, donc je dois réfléchir.
Par exemple, avec l'adolescente que j'ai
mentionnée, j'aurai joué aux jeux de ficelle,
mais ils m'ont dit qu'elle s'était faite beaucoup
de mal à elle-même avec des ciseaux et des stylos,
et donc ils avaient enlevé de sa chambre tout
ce qui était potentiellement dangereux. C'était
une information très utile pour moi.
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